L’enfant atypique, porteur d’autisme spectral*, sera inexorablement à risque d’être évalué... en double insu. En ce sens que voici : sans la bonne lunette d’approche (pour mettre les signes d’alerte sous focus d’ensemble) ni le bon microscope (pour en déceler la nature propre), chez les uns et les autres : les professionnels et les parents.
En effet, un premier insu intervient. L’algorithme de l’évaluateur-diagnosticien, typiquement un psychiatre, pédopsychiatre, psychologue ou neuropsychologue, pourra ne pas comporter les détecteurs propres, subtils, différentiels de l’autisme spectral, conçu pour des symptômes multiples et confondants, souvent masqués, parfois migratoires, pour capter le propre de l’autisme résiduel. Ces détecteurs sont exclus des protocoles usuels, car jugés improbables, voire inimaginables.
Second insu: les parents, pour leur part, n’ont d’emblée pas conscience de la présence insidieuse d'un TSA chez leur enfant tellement une telle hypothèse est invraisemblable. Du moins, c’est souvent l’avis exprimé aux parents de l’entourage (les proches et aidants tels les profs, éducateurs, membres de la famille élargie). Ou du médecin de famille.
L’appareil médical et l’appareil psychologique procèdent alors à leur démarche en référence à des troubles connus et sûrs. Ainsi, ils vont cartographier des troubles de la personnalité (la psychiatrie a ce réflexe). Ou des comorbidités (la psychologie et la neuropsychologie ont ce réflexe). On verra, même chez l’enfant, un Trouble généralisé d’anxiété, un trouble de personnalité limite, un trouble oppositionnel ou encore un TDAH, une déficience exécutive, un trouble d’apprentissage, ou... une vingtaine d’autres comorbidités**. Chez l'adulte, on dépistera un TOC, un TPL, ou autre chose connue et... rassurante.
Par multiplication et accumulation de ces conditions, dans un énoncé diagnostique, on cherchera à « expliquer » toute la variance clinique constatée, délaissant le TSA, pourtant seul apte à mieux interpréter une majorité de symptômes multiples, dans une perspective intégrative et non additive. Parce que l’autisme est une force de transformation et non seulement d’altération, créant une différence de structure et non seulement de fonctionnement. De telles pratiques de double insu (dites « aveugles », de part et d’autre, côté professionnel, côté parents) deviennent par la suite obsolètes, car manifestement superficielles, quelque peu arbitraires et surtout péremptoires.
Un enfant de 8 ans peut-il avoir autant de conditions aggravées que sont les troubles de personnalité? C’est peu probable, à moins de traîner un passé de misère chronique, ce qui est rarement le cas. Peut-il cumuler autant de déficits auxiliaires (comorbides) sans une explication de fond, l’évocation d'un socle unique, logé à la base, sous-tendant les difficultés périphériques, dans une vision intégrative de l’ensemble des problèmes? L'adulte sous diagnostic, lui, trouvera surfaites, encombrantes, boiteuses, voire erronées les « explications fermées », prononcées ex cathedra par des professionnels.
Au terme du processus de dépistage-diagnostique, le TSA n'est non pas écarté, car il n’était pas considéré formellement, mais ignoré. Face à des troubles d’origine psychologique, liés au milieu de vie, les parents pourront être incriminés, en particulier les mères fusionnelles, dénoncées. Pourtant, elles sont intuitives, et rarement dans l'erreur. Les adultes écopent aussi, catégorisés de troubles multiples cumulés. Et subséquemment médicamentés.
L’APEA veut préconiser une mise à niveau, une clarification et un enrichissement des procédés diagnostiques en conviant les professionnels concernés à se concerter et enrichir leurs pratiques diagnostiques des éléments proposés par les développements scientifiques du domaine. À quand une sensibilisation des professionnels sur les subtilités de l’autisme de haut niveau, en particulier de type asperger, sinon le 27 octobre, au colloque de l'APEA ?
Dr Normand Giroux,
Psychologue
Fondateur de l’Association des parents d’enfants Asperger
Les opinions exprimées ici n'engagent que l’auteur de la capsule. Ni la Clinique Autisme & Asperger de Montréal, ni le conseil d’administration de l’APEA n’ont été consultés ou pressentis pour sa publication.
* Autisme spectral : autisme du spectre autistique. Il s’agit d’autisme résiduel, aux effets graves, mais limités, une condition partielle par opposition à l’autisme intégral, dit « de Kanner », une condition totale. Dans le cas du syndrome d’Asperger, la personne est foncièrement neurotypique, mais sa « normalité » est altérée par cet autisme spectral.
** Ce sont, notoirement (mais non exhaustivement) : ✪ le TDAH, ✪ l’anxiété, ✪ la sélectivité alimentaire et l’anorexie, ✪ les troubles du sommeil, ✪ les troubles du contact visuel, ✪ les troubles de l’humeur (dont des colères et des crises), ✪ les troubles de l’efficience exécutive et de l’autonomie,✪ les troubles oppositionnels, ✪ les ruminations, ✪ les troubles obsessifs-compulsifs, ✪ les troubles de l’accumulation (hoarding), ✪ les troubles bipolaires, ✪ les tics, ✪ le pica, ✪ les maniérismes, stéréotypies ou comportements répétitifs (incluant la trichotillomanie et l’onychophagie), ✪ les phobies, ✪ les rigidités (Innombrables…), ✪ l’auto-stimulation, ✪ l’automutilation, ✪ les troubles de la communication orale (absence ou limitation du langage), ✪ les défenses sensorielles, ✪ les troubles relationnels et de socialisation, ✪ les troubles de la motricité, ✪ les troubles de l’écrit et/ou de l’écriture (+autres troubles d’apprentissage), ✪ le trouble réactionnel de l’attachement. Et d’autres, plus rares: ✪ les épisodes de dépersonnalisation, de déréalisation, ✪ les hallucinations, ✪ les délusions.
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